Ne serait-ce que pour le Tuba Mirum, ce requiem pour voix d'hommes, l'un des plus beaux jamais composés, supporte parfaitement la comparaison avec ceux de Mozart, Verdi ou Fauré. A cette différence près que vous n'en trouverez qu'un seul enregistrement, celui de Ferencsik. Abandonnez toute idée préconçue, qu'il s'agisse de l'œuvre, de l'interprétation ou de l'enregistrement. Tout y est sublime. Le caractère parfois "rétro" de l'écriture religieuse de Lizst peut effaroucher - à la même époque, son gendre Wagner compose Tristan. Il faut donc une oreille attentive pour percevoir puis comprendre le trésor d'innovations révolutionnaires délivré par cet ersatz d'abbé (et cet ersatz de compositeur, comme on le qualifiait à l'époque) qui rêvait d'un poste de kappelmeister au Vatican, rien de moins, qu'on lui refusa précisément en raison de ses audaces radicales. Plus fort que le Christus peut-être, parce que plus resserré et homogène, le Requiem, œuvre incroyablement méconnue, ne se contente pas d'annoncer le XXe siècle. Il va au-delà, musicalement, dans son modernisme sans concession, et plus encore, rayonne d'une spiritualité, d'une humanité à la fois sanguine et marmoréenne, spectrale et chaleureuse parfaitement uniques.