Voici un album de John Fahey. Si vous connaissez déjà l’oiseau, ce devrait être suffisant pour vous donner envie de l’acheter. Si ce n’est pas le cas, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Cela étant, on vous aura prévenu : c’est de la bonne, mais de la dure. Après avoir acquis cet album, il y a des risques pour que vous vouliez vous procurer tous les autres, et il en a quand même enregistré une bonne cinquantaine.
Alors pourquoi ce disque plutôt qu’un autre ? Eh bien, c’est délicat... D’autant plus qu’à l’instar de la discographie des Cramps dans un genre complètement différent, celle de John Fahey peut laisser croire au néophyte que tous ses albums sont pareils, puisqu’ils se résument généralement à un ensemble de morceaux instrumentaux exécutés uniquement à la guitare acoustique. En plus, Fahey ne chante même pas ! Pourtant, point de misérabilisme ou d’austérité dans ses morceaux. Comme bien souvent quand il s’agit de musique populaire, moins égale plus. Et de délicatesse il est précisément question en ce qui concerne ce disque de « guitare primitive américaine » : en égrenant d’un doigté alerte et agile des arpèges en apparence tout simples, Fahey éparpille l’air de rien d’étranges semailles dans le paysage mental de l’auditeur dont l’horizon devient tout à coup plus vaste et plus mystérieux. Histoire de varier les plaisirs, il y a aussi du field recording, quelques sifflements et des collages sonores… Fahey empoigne parfois une douze-cordes et convie un organiste et une section rythmique sur deux titres, mais ça ne change pas fondamentalement la donne ; de toute façon, dès qu’il commence à gratouiller sa guitare, c’est toute l’architecture de l’espace-temps qui semble être mise à nu : soudain, la terre et le ciel s’ouvrent, les horloges se mettent à marcher à l’envers et les morts reviennent à la vie, il y a un bateau à voile, un setter irlandais, une ville invisible, un lion, une tortue qui parle et un pont qui chante. Mystique iconoclaste et primitif lettré, John Fahey réinvente à chaque album son cheminement vers l’utopie, en embarquant avec lui quiconque désire être du voyage. Qui est partant ?