Ce disque sorti en 1996 d'une durée de 73' se compose de 3 parties distinctes s'enchaînant, pour former cette « Création du monde » composée entre 1982 et 1984. Il propose avec ravissement un univers foisonnant, dense, légèrement singulier, tournoyant, malgré tout varié avec plaisir dans l'emploi de l'électroacoustique.
En amoureux des sons, le regretté Bernard Parmegiani (1927-2013) sait les manier et marier afin d'amener de manière naturelle la progression des séquences et construire une histoire musicale. Trois grandes parties ouvertement séparées, qui progressent de l'infini grand vers l'infiniment petit.
Au sein d’une interview enregistrée en mars 1990 (« Multipistes » de Philippe Delacroix), le compositeur a affirmé une « relative facilité » concernant cette pièce puisqu’il s’était fixé un plan qui a impliqué une chronologie d’évènements et un cheminement. « La différenciation des climats » l’a obligé à créer et composer des couleurs/sons différent(e)s : des « sons sans couleurs » (sans hauteurs ni timbres) puis le son qui devient identifiable, et qui finit par « une certaine musicalité ».
« L’intention de préparer un matériau est beaucoup intéressante que l’action elle-même sur le matériau sonore » y a-t-il ajouté.
Membre de GRM (Groupe de Recherches musicales) de 1959 à 1992, le livret précise en introduction qu'« il manifeste un goût particulier du travail sur le son de la matière et le son capté dans la nature dont il se sert comme modèle. »
« L'éphémère, la passager, les mouvements de l'air, la transparence ou l'opacité de l'espace dans lequel il étage les plans de profondeur, le répétitif et « l'effet de miroir », sont autant d'éléments dont il use à travers la notion de métamorphose sur laquelle repose un grand nombre de ses œuvres. »
Au départ l'univers se cherche dans « Lumière noire », avec le mouvement et déplacement de grosses masses sonores qui tentent de se déplacer, espacées de silences. Avec un long mouvement ascendant dans la 3ème section.
Le compositeur revient avec précision et talent sur chacun des mouvements constitutifs de l'œuvre, qu'il a pensée et parfaitement décryptée avec un plaisir mêlant poésie et rigueur, sans être prétentieux dans son projet ni grandiloquent. Juste aussi précis que possible.
Concernant le premier : « Le début de ce mouvement représente la partie la plus obscure dans l'évolution cosmique. Précédant le « big-bang » des astrophysiciens, elle a suscité ma rêverie musicale.
L'absence de tonalité qui caractérise une grande partie du matériau sonore choisi pour « Lumière Noire » est due à l'utilisation de « bruits blancs » définis comme sons dont la masse contient en principe toute les fréquences accumulées statistiquement. Le choix délibéré de ces sons bruts, puis profilés, éclatés, traités en jaillissements, glissements ou répétés avec une force accrue, représentait dans mon imagerie mentale ce qu'il y a de plus suggestif de phénomènes physiquement indescriptibles.
Dans un second temps, l'ébauche d'une organisation donne lieu à des oppositions ou des convergences de forces, à une dynamique de la matière à l'état naissant, puis évoluante vers des formes encore fragiles et constamment avortées.
Les prémisses de la lumière, enfin, dues à l'utilisation de sons dont les zones de hauteur interfèrent entre le médium et l'aigu. »
La 2ème partie « Métamorphose du vide » laisse place à un déploiement très progressif de la matière.
« En opposition à « Lumière noire » ce mouvement use de sons timbrés et propose des couches de coloration qui se superposent ou s'enchaînent. La dynamique interne de ces couches, dont les hauteurs se répartissent entre une zone très grave et suraigüe, set masquée par la présence de sons vibrés plus ou moins accentués, à des vitesse variables. »
3ème partie « Signe de vie » laisse entendre des êtres vivants sortir du néant, au niveau des micro-organismes et des cellules. L'organique au niveau de l'infime.
Au début (7) les courtes cellules grouillent de mouvements jusqu'à offrir de gros bouillons : comme des mouvements de vie insufflés et qui viennent éclore. Des pulsations cardiaques (8). En 9 on dirait des cris d'animaux primitifs (un ballet de grenouilles ?). La voix apparaît dans l'avant-dernière section, ou plutôt des bribes, éclats, velléités : comme l'hésitante apparition de l'Homme au dernier stade de l'échelle temporelle.
« C'est l'apparition d'une planète, la nôtre, sur laquelle s'organise une « logique du vivant. (...) Ce dernier « instant » dans la « Création » est paradoxalement le plus long par rapport aux deux précédents. Son exploration permet de découvrir davantage d'étapes. Le matériau sonore se concrétise, entendant par là qu'il se rapproche de ce que nous savons auditivement re-connaître. Musicalisés, ces sons s'articulent entre eux à travers des formes rythmiques et par traitement de leur timbre. D'abord incertains et fragiles, ils se dérobent à toute mise en forme individuelle. » (...)
On retrouve bien sûr les préoccupations habituelles du compositeur : les sons agencés avec élégance, l'emploi de sons concrets habilement intégrés, de lentes progressions, jamais de brusques et dérangeantes incises et rendus (comme un Stockhausen à ses débuts, ou un Pierre Henry, plus propice à un climat moins homogène). Un maître des sons à sa manière...
L'ensemble demeure assez doux dans ce qu'il offre et notamment toutes ses transitions. Au sein des mouvements tout un paysage sonore de multiples couches se succèdent, allant du macroscopique au microscopique à travers des micro-organismes prenant vie vers des lignes différentes.
Une électroacoustique très douce, esthétique presque et jamais brutale, qui nous fait rester dans un bain de sensations éparses, variées, changeantes et séduisantes dans leur appréhension globale. Toujours séduisantes et intéressantes ses incursions où une grande cohérence anime cette création. Sans envolées déplacées et sans que le son qui vous transperce, mais une beauté parfaitement en harmonie avec le moment et l'instant, qu'il a su capter de manière atemporelle.
Toujours cette remarque de souvent constater la grande influence du titre d'une pièce sur notre sensation perceptive : lors de l'écoute. Il l'influence à sa manière et aurions-nous éprouvé la même sensibilité poétique vers des titres plus neutres et moins transcendants ?
La gageure de réaliser une œuvre diversifiée malgré l'emploi d'un matériau qui pourrait sembler par trop uniforme ; parce qu'il sait l'employer, varier les combinaisons, rythmes et couleurs ; insuffler l'énergie, l'apaisement et l'attente pour ce qu'il va survenir.
« Ce n'est donc pas la genèse qui a inspiré mon itinéraire. Des ouvrages scientifiques ou parascientifiques (H. Reeves, C. Sagan, R. Clarke, S. Weinberg) m'ont fourni les principaux points de repère. Les mots qui décrivent les phénomènes de l'astrophysique sont suffisamment incitatifs pour provoquer l'imagination musicale et nourrir cette rêverie du monde. Rien n'est plus excitant que celle-ci qu'une paradoxale vision acousmatique [se dit d'un bruit que l'on entend sans voir les causes dont il provient] de la Création du Monde. »
Au recto et verso du livret, sont intégrées en guise d’illustrations visuelles, deux images de galaxies ou voix lactées de l’ « Europpean Southern Observatory » traitées en pseudo-couleur.
Ce disque obtint une « victoire de la musique » dans la catégorie « création de musique contemporaine de l'année » en 1990, probablement date de sortie du 1er enregistrement original.