Ce film de
Richard Fleischer
réalisé pour la RKO en 1952 est une petite merveille. Une vraie perle rare! « Narrow Margin » (titre original) a les contours du film noir mais n'en est pas vraiment un. C'est plutôt un polar, d'une splendeur inégalée, d'une efficacité qui laisse toujours pantois celles et ceux qui l’ont vu. En effet, le cinéaste, en soixante-seize minutes chrono, montre en main, nous embarque dans une histoire haletante, menée tambour battant, à un train d'enfer. Tout est millimétré, pensé, et merveilleusement mis en scène. Pas de superflu dans ce joyau du cinéma. Hors mis la scène du début, tout se passe dans un train. Scénario irréprochable, dialogues ciselés, rythme soutenu, plans séquences judicieux, acteurs jouant à la perfection... On tient là un petit bijou du septième art. C’est disons-le un film inoubliable ! Longtemps considéré comme un petit film de série B (petit budget, peu de moyens, le film fut tourné en treize jours (sic), sans réelle tête d'affiche...), Bref, « L'énigme du Chicago Express » ne mérite pas cette mesquine appellation de série B, tant la réalisation est maîtrisée de bout en bout. Aussi, le noir et blanc de George E. Diskant (directeur de la photographie) est magnifique.
Synopsis (je ne raconterai pas tout, seulement le début, histoire de vous mettre l’eau à la bouche…). La nuit. Deux agents fédéraux (
Charles McGraw
et Gordon Gebert) débarquent à la gare de Chicago. Leur mission, se rendre au 9417, Water Street South, ruelle d’un quartier lugubre, pas vraiment chic… Cadre urbain poisseux, la nuit donc. Là, ils doivent retrouver la veuve d'un gangster notoire (campée par la merveilleuse
Marie Windsor
), escorter la belle jusqu'au tribunal et la protéger de la mafia… La poule est bien roulée, elle a même le regard lubrique, ce qui n'arrange rien... Malheureusement, elle est empoisonnante. Ambigüe, elle ne manquera pas d'essayer de séduire le flic viril et taciturne interprété par Charles McGraw. Direction la gare après quelques péripéties... Tout le reste du film se passe dans les compartiments d'un train. Huis clos magistral, comme vous le verrez. L’art cinématographique porté à son plus haut niveau !
Je ne raconterai pas la suite, mais y a du suspense, les personnages sont tous brillants (Marie Windsor en femme énigmatique et belle à croquer est vraiment l'une de ces rares femmes du cinéma, avec Barbara Stanwyck, Jane Greer ou encore Lana Turner, à avoir joué les plus beaux rôles de salopes. Qui a oublié son excellente interprétation dans
L'Ultime Razzia
connu aussi sous le titre The Killing, superbe film noir de Stanley Kubrick, face à un Elisha Cook Jr. sublime et déconfit?). Ici, même chose, réparties subtilement méchantes, dialogues savoureux, comme lorsque Marie Windsor, furieuse de l'indifférence du flic, lance: « Alors, votre hâle, il s'est dissipé en route? »... De gros plans magnifiques sur le visage de l'actrice me laissent encore dire ceci : Richard Fleischer savait ce que ça impliquait de réaliser un film. Un maître de l'image à nul autre pareil. Les silences, les regards comme autant d’expressions des sentiments… Bref, vous l'aurez compris, chers amis (et amies) cinéphiles, cette énigme du Chicago Express est non seulement du grand cinéma, mais c'est aussi l'un de ces rares films que l'on ne manquera pas de revoir et revoir avec un plaisir à chaque fois délectable.
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PS. Comme le précise M. Bloomberg dans l'introduction au film, « Narrow Margin » (« marge étroite », j’adore le titre original) contient aussi l'un des fondus enchaînés les plus osés, pour ne pas dire des plus sensuels de toute l'histoire du cinéma : aux mouvements de vas-et-viens réguliers des bielles d'une locomotive en marche succèdent ceux quasi similaires d'une lime à ongles… Génial. Un film que l'on verra et reverra avec beaucoup de plaisir, forcément. Enfin, seulement la V.O.S.T.F. (version originale sous titrée en français) est proposée dans ce fleuron du septième art. Qualité soignée de l'image et du son (restauration impeccable).