Dans le micro-univers du death metal progressif, en son centre, se trouve Meshuggah. Il y aurait beaucoup à dire sur ce groupe, et des thèses universitaires ont été écrites. Meshuggah, ce n'est pas vraiment du metal, ni du rock, ni rien de connu ou de catalogable. C'est avant tout une expérimentation en musique extrême, avec une volonté affirmée d'explorer les frontières, et au-delà, des codes de la musique occidentale, tout en y restant foncièrement inscrit. La démarche de Meshuggah me rappelle, dans un tout autre style, celle de Steve Coleman en free jazz, avec un résultat sensiblement comparable : un abandon de la métrique, de la notion de tonalité, l'utilisation de polyrythmie, et une perte totale de repères pour l'auditeur. C'est une musique exigeante, qui demande de la part de l'auditeur effort et temps. De nombreuses écoutes sont nécessaires pour accéder d'une part à l'intention de ces musiciens et d'autre part au plaisir d'une musique, disons le, franchement pas facile.
Contrairement aux autres commentateurs de cet album, ObZen est pour moi le meilleur de Meshuggah, parce que c'est le plus audible. J'ai beaucoup de respect pour ces musiciens et la démarche quasi-sacerdotale qu'ils suivent depuis des années sans fléchir et en proposant du nouveau à chaque album. Mais l'impression générale que leur musique me fait est une impression de froideur. Il y a peu d'humanité dans les riffs cycliques et mécaniques qui constituent la marque de fabrique du groupe. C'est là qu'ObZen me séduit particulièrement, c'est qu'on y trouve plus de chaleur que dans les autres productions de Meshuggah. C'est un album qui groove. (Par comparaison, et parce que la comparaison est quasiment obligatoire, le groupe français Gojira qui s'inspire clairement des recherches musicales de Meshuggah, est toujours dans le groove et la musicalité, ne gardant que le meilleur pour enrichir le genre.)
Si ObZen est relativement plus facile à écouter que les autres albums, il n'est pas simple pour autant. C'est même techniquement un des plus complexes du groupe. Des morceaux comme Bleed ou Dancers To A Discordant System sont des tours de force qui imposent l'admiration. J'apprécie aussi particulièrement les chorus de Thordendal à la guitare à travers tout cet album : des phrasés typiquement jazz-fusion, et ce jeu qu'on appellerait "out" si la notion de tonalité avait encore une quelconque pertinence dans la musique de Meshuggah. C'est mélodiquement beau et subtil, et unique en Death metal. C'est l'album de ces géants que je recommanderais en priorité à toute personne souhaitant découvrir les pentes extrêmes du metal.